"La Turbie avec sa tour d'Auguste..." (Guillaume Apollinaire-Anecdotiques)

Le territoire de la Commune de la Turbie se dresse en amphithéâtre naturel dans la perspective terrestre de la Principauté de Monaco, qu'il jouxte, arc-bouté à ses deux filles séparées, les agglomérations de Cap-d'Ail à l'Ouest et de Beausoleil à l'Est. Le "village" - (500 mètres d'altitude) -au pied de la colline des Batailles, s'élève en quart de cercle entre   l'ancienne "route impériale" allant de Nice à Menton, la grande corniche, et les terrasses du magnifique parc arboré du Trophée d'Auguste d'où l'on peut jouir de l'immense panorama sous la surveillance du mont Agel, superbe et dominateur, qui culmine à 1150 mètres au nord-est.
Passage obligé depuis les pistes antiques, lieu de mémoire où l'Histoire se mêle à la Légende, du 1er juillet 1993 au 30 juin 1994, on sera dans l'année commémorative du bimillénaire du Trophée d'Auguste, le Trophée des Alpes, dont "la masse imposante accuse encore la main formidable de Rome", comme l'écrivait Théodore de Banville. La Turbie est fière de montrer aux nombreux visiteurs qu'avec la riche histoire du Trophée d'Auguste elle entend, dans sa modernité, assurer la pérennité de son grandiose et prestigieux passé.
Le Trophée des Romains puissance et gloire d'Auguste En l'an X avant Jésus-Christ, alors qu'il regagne l'Italie par la route du Montgenèvre et Susa, au retour de son troisième voyage en Gaule, Auguste, à 52 ans, est à l'apogée de sa puissance et de sa gloire. (Annexe 1 ) Placé par les circonstances pour assumer la succession de son grand-oncle César assassiné, voici maintenant plus de vingt années, depuis la victoire d'Actium sur Marc Antoine, qu'il gouverne seul à l'Etat.
Fidèle à sa politique de prudence et de sagesse, il a mené avec succès, après les guerres civiles, les guerres étrangères et, hors toute volonté d'expansion, il a stabilisé les frontières de l'Empire. Enfin, ses lieutenants, après de nombreuses campagnes, sont parvenus à mettre à la raison toutes les peuplades des Alpes, assurant ainsi l'indispensable sécurité des communications terrestres, principalement vers les provinces occidentales, la Narbonnaise et les Espagnes.
Aussi, rien de surprenant à ce que, selon l'usage, à cette occasion, le Sénat, en association avec le peuple romain, ait décidé, pour commémorer ces victoires importantes, d'élever un arc de triomphe exceptionnel dédié à l'empereur Auguste. Ce trophée se dressera, symbole de puissance, à l'extrémité méridionale du massif alpin pacifié, sur la montagne dominant la mer, à l'Alpe Summa, point marquant la séparation entre l'Italie et la Gaule, au milliaire 604 de la nouvelle route littorale, à l'abri des neiges d'hiver, construite par le gendre d'Auguste, Agrippa, et qui sera désignée "Via Julia-Augusta". Mais aussi, emplacement privilégié du monde antique puisqu'il évoque à la fois les origines mythiques avec "Hercule Monoikos" et le glorieux passage de César juste avant la bataille de Pharsale. (Annexe 2) Le monument, par ses dimensions grandioses devra perpétuer pour les siècles à venir la force et la splendeur de Rome : une base carrée supportant une colonnade circulaire de 24 colonnes, surmontée d'une architrave, entourant un énorme noyau central terminé par une sommité pyramidale. Trente cinq mètres de côté à la base, cinquante mètres au sommet. Un immense rocher promontoire de calcaire reconstitué à l'Alpe Summa... La dédicace monumentale, gravée sur les plaques de marbre de Carrare, du parement Ouest, dont le texte nous a été transmis par Pline l'Ancien, précise la date d'inauguration au cours de la XVIIè-me puissance tribunitienne d'Auguste, c'est à dire : entre le 1er juillet de l'an 7 av. J.C. et le 30 juin de l'an 6 av. J.C.
Très certainement, la décision prise, la durée des opérations et des chantiers n'excéda pas 3 années pour l'ensemble des travaux : arasage du site, amenée de l'eau, extraction des matériaux à la carrière voisine ouverte à cet effet et préparation des blocs, transports à pied d'œuvre, érection du monument.



Pendant la "Pax Romana"
Durant la présence romaine il fut certainement protégé et entretenu avec soin vu son importance symbolique, que ce soit durant les épisodes tragiques des Césars, au "siècle bienheureux" des Antonins, puis sous les Sévères, et au cours des premières décennies du Bas-Empire.

 

- La destruction du mausolée du géant Apollon
Au début du Vème siècle ce seront surtout les premiers Chrétiens avec Saint-Honorat qui, en attribuant ce mausolée grandiose au géant païen Apollon, infligeront au trophée les plus graves déprédations aux parties ornementales. Ensuite le passage des barbares, Goths, Wisigoths, dut malmener l'œuvre. Puis ce sera au tour des Lombards, à la fin du Vlème siècle. Après les incursions sarrasines, et au sortir des "temps obscurs" Au haut Moyen Age, pour expliquer cet impressionnant amoncellement de ruines, le moine Raymond Féraud, au Xlllème siècle, monta une œuvre épique en vers niçois : "La Vida de San Honorai". Celle-ci, inspirée d'un manuscrit antérieur, raconte comment l'intervention du saint fut décisive pour ordonner la destruction "de la Jour du géant". Cette œuvre devint par la suite l'inspiration de toutes les légendes merveilleuses et imaginaires écrites sur le Trophée d'Auguste.
La forteresse médiévale Situé au cap extrême oriental de leurs possessions, le Trophée des Romains fut transformé en forteresse par les comtes de Provence, et leurs seigneurs vassaux, entre 1125 et 1325. Ce sera alors la seconde vie de l'œuvre architecturale grandiose qui, flanquée des "domus" du village renfermé derrière ses murs et portails à mâchicoulis apparaîtra, selon les documents d'époque, sous les divers vocables de : "ricetto" - réduit - "castello" - château -"forte"- fort - de La Turbia. C'est ce point stratégique qui passera après la dédition de 1388, sous la domination des nouveaux souverains de Savoie, qui y détachèrent un "castellan". A la fois bastion et refuge sur la route vers l'Occident, cet ensemble fortifié subira, par exemple, l'assaut des troupes de la République de Gênes en 1507 lors du siège du fort de Monaco. (Annexe 3)
Par la suite, bien que sans valeur militaire importante la Cour des ducs de Savoie de Turin y maintint toujours une petite garnison, car il convenait de tenir ce poste près de la frontière.

 


Le démantèlement de 1705 (Annexe 4)
 La "Tour de Tourbie" devait alors apparaître comme le symbole de la présence en ces lieux de "Monsieur de Savoye". Aussi, le roi de France Louis XIV et Victor-Amédée II étant en position conflictuelle, lors des péripéties militaires de la guerre dite de la Succession d'Espagne, les troupes françaises commandées par le maréchal de La Feuillade, au printemps de 1705, après avoir posé des mines, procédèrent à la destruction du fort; seule la partie centrale massive résistera aux charges comme on peut le voir restitué sur des gravures d'époque.
Le fort démantelé devenait alors une immense et facile carrière où, d'ailleurs, furent prélevés les blocs pour le gros œuvre de la nouvelle église paroissiale en style baroque qui sera construite par la Communauté entre 1763 et 1777 sous la direction de l'architecte originaire du Tessin suisse, Antonio Spinelli. Pour limiter le pillage des matériaux éparpillés sur le site pendant une longue période d'oubli de l'œuvre, l'Etat sarde, en 1857, devait ériger tout autour, un mur de protection, appelé ainsi "Le mur sarde".

 


La restauration
Classé par le gouvernement impérial en 1865, il fallait attendre le début du XXème siècle pour qu'une campagne de fouilles archéologiques, conduites de 1905 à 1909, parvienne à dégager l'œuvre de l'amas des décombres dont elle était submergée. La visite sur le chantier du Président Fallières, le 27 avril 1909, couronnait l'inlassable labeur accompli par l'historien local, Philippe Casimir, qui deviendra maire en 1912. (Annexe 5) Des programmes successifs de restauration suivirent alors avant et après 1914 puis, le plus important, de 1929 à 1933, financé par l'Américain Edward Tuck et dirigé par l'architecte Jules Formigé, maître d'oeuvre du style alliant les époques romaine et médiévale, rappelant précisément la vie de l'œuvre. Parallèlement, un musée adjacent fut construit, le Musée Tuck, en l'honneur du mécène américain et inauguré en 1934 en fin de travaux. Enfin, après le dernier conflit, à partir de 1946, un programme important, dit de "dégagement des abords du Trophée" devait inclure dans une même enceinte protégée : le monument restauré, le Musée Tuck ou musée de l'œuvre et un parc arboré de quelques trois hectares d'où l'on découvre dans le calme et la tranquillité un vaste panorama vers l'Agel, la mer et la frontière italienne, en surplomb de la principauté de Monaco. En 1953, une première convention de gestion entre le Secrétariat d'Etat aux Beaux Arts et la commune de La Turbie a été établie dans le but de mettre en valeur cet ensemble unique archéologique et historique et assurer ainsi la pérennité de l'œuvre et le rayonnement de La Turbie, cité d'Art et d'Histoire, à travers le monde entier.

 


Nous terminerons en exprimant un souhait qui comblerait de satisfaction tous les amateurs d'art et de beauté qui empruntent les voies de notre si merveilleuse région : ce serait de mettre en place l'installation d'éclairage nocturne du Trophée. Alors, sans exagération, en découvrant le monument dans son auguste perspective, dans la nuit constellée, on pourrait se dire, à coup sûr, vraiment, comme l'a écrit Chateaubriand : "les ruines, considérées sous le rapport du paysage, sont plus pittoresques dans un tableau, que le monument frais et entier". Le génie du christianisme : 3e partie - Livre 5ème - ch. IV.